12.4.08

Imbroglio tibetain

Il est assez navrant de constater qu'une fois de plus l'opinion occidentale s'engouffre tête baissée dans un leurre médiatique, qui a cette fois-ci la forme d'une gueule de dragon. D'autant que cette soudaine et fulgurante sympathie pour la cause tibétaine semble opportunément se transformer en une croisade anti-chinoise, teintée d'une pernicieuse xénophobie. Après cinquante-huit ans de présence chinoise au Tibet, il suffit pourtant d'ouvrir un dictionnaire pour comprendre que les relations sino-tibétaines ont déjà connu de nombreux rebondissements au cours des siècles, dont l'avant-dernier remonte à 1912 : les britanniques s'étaient alors alliés aux tibétains pour bouter les chinois hors du Tibet, que les empereurs Qing avaient conquis en 1751 !

Il serait également trop facile de passer sous silence le fait que lorsque les chinois sont entrés à Lhassa en 1949, la population était soumise à l'autorité féodale des monastères et de l'aristocratie, taillable et corvéable à merci, maintenue dans un état de sujétion par les châtiments corporels, la superstition et les pratiques magico-chamaniques issues du Bön. Rappelons que le servage et le système discriminatoire des castes ont été abolis au Tibet en 1956, par l'administration chinoise. L'image d'un jardin d'éden himalayen est avant tout une invention littéraire occidentale, peu conforme à la réalité historique.
L'affaire n'est donc pas aussi simple que certains voudraient nous la faire miroiter. Le sénateur français Jean-Luc Mélanchon, nous en livre une pertinente analyse historique et politique sur son blog.

Par ailleurs, tous ceux qui s'intéressent de près ou de loin au bouddhisme ne pourront qu'être gênés en entendant certains porte-parole des moines se revendiquer d'une "identité" et d'une "culture", sachant que la philosophie bouddhiste s'emploie précisément à déconstruire les conditionnements et les illusions découlant de l'identification aux phénomènes. Y aurait-il tromperie sur la marchandise qu'on essaie de vendre aux naïfs occidentaux, peu enclins aux subtilités métaphysiques ?
L'intéressant ouvrage L'ombre du dalaï lama des époux Trimondi, deux historiens allemands extrêmement bien documentés, constitue d'ores et déjà une référence incontournable pour l'étude du lamaïsme et de la culture tibétaine. Il a fait grand bruit en Allemagne et aux USA, mais n'a toujours pas été publié en France, ce qui pourrait expliquer partiellement la désinformation du public.

Les citoyens des pays dits démocratiques ont en principe le droit d'aller manifester dans la rue. Ont-ils aussi le droit de s'instruire, de vérifier leurs sources, de lire les étiquettes "made in China" sur leurs vêtements et leurs aliments, et le cas échéant, décider en toute autonomie de ne pas en faire l'achat ? Ont-ils encore le droit d'exercer librement leur jugement sans être influencés par la pression des médias ? On aimerait le croire, car si la démocratie ne devait plus consister qu'à vociférer sur commande des slogans préformatés, cela ressemblerait fort à du totalitarisme.
Du moins n'est-il pas interdit d'esquisser l'ébauche d'un sourire devant le propos désarmant d'un manifestant à San Francisco : "Spontanément, l'univers est en train de s'ouvrir à cette question."

Spontanément, vraiment ?

métadonnées : conspiration, rapport de plongée, tendances, tibétomanie

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